C'est le malaise du moment, l'épidémie qui s'étend. La fête est finie on descend : les pensées qui glacent la raison. Paupières baissées, visage gris, surgissent les fantômes de notre lit. On ouvre le loquet de la grille, du taudit qu'on appelle maison.

Matamoros, frontière intangible entre les États-unis et le Mexique. Inutile de vous parler de la misère, le mot n'a plus de sens ici. On née la gueule dans le fumier, c'est la tradition. Et si par chance tu t'éveilles dans une villa au luxe dégueulasse, pauvre, ne désignera jamais pour toi plus que les gens qui te cirent les pompes à longueur de journée. La réalité des uns n'a jamais été celle des autres. C'est la seule lois terrestre qui fonctionne encore à notre époque. Et si par le passé on a pu, à quelque endroit, parler de siècle des lumières, nous arrêterons désormais notre choix sur siècle de merde. Ainsi soit-il... Puis, de toutes les manières, ce n'est qu'un détail pour situer le charnier. La réalité démarre, maintenant : L'homme s'impose quelques semblants de lois. Garde-fou pour cinglés déjà opérationnels pour l'asile. Ils ont bouffés leur planète, se sont bouffés entre eux. Enfermés dans des cercueil de béton armé. 2028, les pesticides ont gagné la partie. Même contre les armes à feux, même contre les psychopathes ou les guerres de gangs. Vous savez qui est le plus grand meurtrier de la planète terre ? Le cancer. On en crève tous, presque sans exceptions. Plus aucunes distinctions d'âge, de classes sociales ou de races. La faucheuse a finalement vouée son affection à l'attaque biologique, mille fois plus efficace que toutes ses précédentes armes. Ainsi, elle met les hommes face à leur propre putrescence. Pourtant, ils mettent le doigt sur une parade, les salops. Des scientifiques mexicains découvrent une combinaison unique de gaz : celle-ci permettraient de déterminer avec précision dans combien de temps nos cancers latents - car nous en avons tous il ne faut pas se leurrer - vont se déclarer. La mort serait-elle dès lors déjouée ?

Sommes nous les jouets du destin ? Souviens toi des moments divins. Planants, éclatés au matin. Et maintenant nous sommes tout seuls. Perdus les rêves de s'aimer, les temps où on avait rien fait. Il nous reste toute une vie pour pleurer. Et maintenant nous sommes tout seuls.

Si la nouvelle réjouit les foules c'est parce qu'elle est accueillie comme la promesse d'un remède, ou au minimum d'une amélioration de la prise en charge de la maladie. La vérité est toute autre. Atrocement couteux, du moins est-ce l'excuse qu'on sert aux lambdas, l'utilisation du gaz n'est finalement accessible qu'aux personnes les plus riches et les plus influentes. L'exportation de cette petite révolution médicale aux États-Unis puis en Europe offre l'occasion à l'état mexicain de renflouer ses caisses. La population, elle, continue de crever la gueule ouverte dans des hôpitaux publiques dépourvus autant de personnels que de matériels. Rien dans notre système actuel ne permettait d'espérer une modification quelconque de la situation. Jusqu'à un incendiant... Officiellement il s'agirait de la nouvelle usine de production de vindia, le fameux gaz, qui aurait connu un problème technique. Ainsi la quasi totalité de la ville de Matamoros, où était implantée l'usine, aurait été exposée au vindia. Toutes les personnes présentes, habitants comme touristes, ont vus depuis apparaitre à l'intérieur de leurs coudes, deux tâches de couleur. Les teintes, variants du rouge vif au brun presque noir en passant par l'orange très pâle, sembleraient être les indicateurs de "durée de vie". Les autorités n'ont pour le moment permit à personne d'avoir accès à la référence de chacune des couleurs. Personne n'est donc actuellement en mesure d'interpréter sa durée de vie. Cependant, les décès n'ayant pas cessé, les déclarations de maladie ayant continuées, les rumeurs vont bon train sur la possible signification de chaque couleur.

Imaginez maintenant une seconde, que vous sachiez à peu de choses près quand vous allez inéluctablement mourir ? Quand, la faucheuse et ses chères cellules cancéreuses vont s'activer et commencer à vous ronger de l'intérieur. Quelle serait votre réaction ? L'insomnie de la conscience n'épargnera plus personne, car l'évidence ne pourra plus être niée. L'épée de Damoclès qui oscillait au-dessus de nos crânes si fragiles vous a maintenant annoncée l'heure de votre ultime rendez-vous. Pourquoi alors, respecter les règles ? Elles sont brisées. Elles n'ont plus aucun sens, aucun poids sur vos épaules de condamné. L'homme a définitivement perdu toute illusion d'immortalité. On lui a balancé en pleine gueule son aspect éphémère, sans plus aucun moyen de se voiler la face. Alors oui, pourquoi, pourquoi encore défendre des principes et des valeurs intemporels ? Ce serait d'un ennui. D'une vacuité totale. Mieux vaut affronter la dame en noir, l'oeil revêche et extatique que torve et soumit. On va donc assouvir chacune de nos putain d'envies. Avant la fin, se sentir vraiment en vie.
Quand les conséquences deviennent un mot creux, que la moindre parcelle de moralité est réduite en cendre, seuls les instincts grégaires de l'homme subsistent. Eux, et eux seuls.
(les paroles en blanc sont celles d'une chanson de Placebo, protège moi)